novembre 20, 2006

« Au Pauvre Diable », une survivance discrète du XIXème siècle au cœur de Dijon




































Situé dans le centre-ville de Dijon, se dresse un bâtiment parfaitement intégré dans le tissu urbain du coeur historique,au fronton duquel on peut lire l’inscription « Au Pauvre Diable ». Aujourd’hui occupé par l’enseigne H&M, à deux pas des Galeries Lafayette dijonnaises, les clients fréquentant ce bâtiment ont changé depuis la fin du 19ème siècle où fut créée cette enseigne, mais on continue tout de même de venir y acheter des produits textiles. Le 19ème siècle est l’avènement en France des nouvelles méthodes de vente. A l’application des principes de production capitalistes de ces temps de révolution industrielle, et de l’interdiction des corporations mettant fin aux magasins spécialisés, se développent les célèbres Grands Magasins. Des enseignes comme « Au bon Marché », puis « Le Printemps » et « La Samaritaine » se répandent dans les cœurs de ville, allant même jusqu’à en bouleverser l’organisation urbaine. Cet essor formidable ne profite pas pour autant aux classes populaires immédiatement, la véritable démocratisation arrivant plus lentement. Elle prendra forme à travers des magasins alors plus adaptés à la solvabilité de ces milieux. « Au Pauvre Diable », nom provocateur aujourd’hui, (c’était parfois aussi « Au Pauvre Jacques » ou « Au Gagne-petit ») évoque bien la clientèle visée par ces commerces où se pratiquaient couramment le crédit et la vente au détail. C’est un réel progrès pour ces classes « laborieuses » qui peuvent profiter des économies faites grâce à ce nouveau système où les exploitants du magasin font bénéficier aux clients des marges tirées des différentes économies ; économies d’espace, approvisionnement directe au producteur sans intermédiaires,... Il fallut attendre la seconde révolution industrielle accompagnée des décennies de croissance florissante de l’après-guerre pour que l’on puisse véritablement parler d’une démocratisation du commerce, avec le développement des hypermarchés périphériques. Apparaissaient dans le même temps de nouvelles problématiques liées à ces nouveaux modes de commerce.

Aujourd’hui, l’inscription gravée sur le fronton du magasin à la belle architecture est certainement vide de signification pour les passants et grand nombre de clients fréquentant le magasin. La sociodémographie de la clientèle du H&M diffère très certainement beaucoup de celle d’Au Pauvre Diable il y a 1 siècle. Les clients sont plutôt jeunes, de 18 à 35 ans probablement, et même s’ils profitent de la mode à prix moyen, sont loin d’être majoritairement issus des milieux populaires d’aujourd’hui. Les milieux populaires tendent à vivre de plus en plus éloigné du centre-ville, et malgré des réseaux de transports généralement développés et efficaces, l’appropriation de l’ensemble des commerces par l’ensemble des strates de la société urbaine n’est pas effective d’après les enquêtes sociologiques. Les magasins « bons marchés » ne sont pas pour autant effacés des centres, puisqu’ils servent aux classes moyennes et aisées pour ajuster leur budget au profit des loisirs. Malgré cette présence marginale de quelques boutiques bon marchés, il n’empêche que le centre demeure un endroit cher, aux enseignes de produits locaux peu accessibles aux petits portefeuilles, ainsi qu’aux multiples boutiques de vêtements, modes et autres galeries commerciales. C’est dans ce milieu que se place aujourd’hui cette coquille vide de sens qu’est l’ancien magasin « Au Pauvre Diable ». Dijon, qui figure aux 2 premières places de classements des villes « dynamiques » et « agréables » dans deux hebdomadaires concurrents, veut tirer son épingle du jeu face à la concurrence des autres villes de province, en montrant notamment par son passé dont l’architecture peut témoigner, qu’elle a tout d’une grande ville. C’est une des manières de se montrer attractive aux entrepreneurs. A ce titre, l’enseigne « Au Pauvre Diable » illustre cette image de ville qui a su grandir. Mais elle fait aussi indirectement état de l’apparente sous-représentation des milieux populaires en ces lieux de vie qui ne correspondent plus vraiment à la leur. Des Galeries Lafayette et du « Pauvre Diable », seule les premières ont pu se maintenir en ce centre historique tout en évoluant. Le 2ème a disparu, et les milieux populaires vont le plus souvent effectuer leurs achats depuis la 2ème modernisation dans les hypermarchés et les hards-discount de périphéries. On peut aussi méditer à la vue de cette enseigne du nouveau lien qui unit aujourd’hui centre historique et commerce, un lieu de chalandise destinés à la vente de produits de loisirs, symbole de la société du tertiaire, où l’on va faire ces « courses de détente » (vêtements, restauration de qualité, cinéma,…) dans un environnement urbain agréable, à l’opposé des « courses corvées » du samedi après-midi. Cette dernière fonction urbaine du « commerce de détente » tend à être de plus en plus concurrencée par l’équivalent des regional shopping centers américain, offreuse des mêmes services mais dans la périphérie urbaine, dans de grands complexes réunissant toutes ces offres. Dès lors, on comrend mieux que la recherche d'urbanité prenne certainement plus de sens encore dans ces lieux centraux traditionnels pour les gens qui les fréquentent. Une quête d'urbanité qui peut s'expliquer par l'expression d'une volonté de vivre et s'afficher dans un milieu où l'urbain est connoté positivement dans les représentations, tentative d' appropriation du milieu social supérieur au notre.



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